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Souvenirs d'enfance
8 janvier 2006

Le Photographe

Le photographe


           En 1937, nous allions à l'école à St Rémy de Provence en vélo avec mon frère Paul, qui avait quelques années de plus que nous. Noël avait six ans et moi cinq. Paul était un grand à nos yeux : il avait treize ans. Je me revois assis sur le cadre, me tenant au guidon,et Noël sur le porte bagage arrière,cramponné à la selle: Paul lui recommandait sans cesse de bien faire attention à ne pas mettre ses pieds dans les rayons. Paul peinait à nous transporter sur un vieux vélo assez lourd qui devait dater du début de l'ère cycliste " un clou !! ". Mais à l'époque avoir une bicyclette était chose rare pour des enfants. Du mas à la grande route il fallait descendre un mauvais chemin charretier appelé la " grand-draille ".Une fois sur la route, c'était mieux pour lui et pour nous,car il n'y avait plus de trous le long du chemin pour me faire mal aux fesses.

J'ai un vague souvenir de l'école.Je me revois dans une classe avec Noël, assis derrière un bureau avec un ou deux paquets de bûchettes guère plus grosses que des allumettes, qui nous servaient à apprendre à compter. Elles étaient en paquets de dix liées par un élastique. J’ai peu d’autres souvenirs.Par contre, je me souviens très bien de la cour de récréation où nous retrouvions mon frère Paul qui faisait partie des grands. En quelque sorte c'était plus rassurant pour nous.

L'année suivante, Paul passa brillamment son certificat d'étude.Il aurait pu poursuivre des études car il avait des dispositions. Le directeur de l'école, monsieur Peloux, convoqua mon père pour le lui suggérer, mais mon père a refusé sous prétexte qu'il avait quatre fils et qu'il ne pouvait en favoriser un seul au détriment des autres .Nous étions destinés à devenir des paysans ... Paul a donc quitté l’école pour travailler à la ferme.

Nous avions un petit copain, François, qui habitait le mas voisin du nôtre,.Il était en rapport d'âge avec Noël. Nous étions toujours ensemble, surtout pour faire des bêtises ! .

Tous les trois nous partions sur le chemin de" la  grand draille ", les jours de beau temps seulement, car nous étions petits et l'école était à environ trois kilomètres. Le chemin passait sur le pont du canal servant à l’arrosage des cultures. Le parapet n'était pas très haut et notre mère vivait dans l'angoisse que l'un de nous tombe à l'eau. Avant de partir, elle faisait des recommandations à mon frère : « Donne la main à Marcel lorsque vous passerez sur le pont ". De nos jours cela paraît peu vraisemblable, maisde mon temps, les enfants allaient tous à pied faire les commissions pour leurs parents ou pour se rendre à l'école. Sur la route, nous marchions bien à droite en file indienne, mais à cette époque il n'y avait pratiquement pas de voitures, seulement quelques charrettes de paysans qui allaient à leurs champs.

Longeant la route, il y avait une voie ferrée plus étroite que les voies normales. Le matin et le soir passait un petit train qui roulait très lentement, tiré par une locomotive bizarre avec une cheminée très longue en forme de cône et deux petits wagons très anciens derrière. Elle crachait une fumée noire et faisait un bruit infernal. Nous attendions qu’elle siffle et nous étions contents. Ce petit train, nous l'appelions " le macaron ".La petite voie ferrée est restée à l'abandon et de nos jours elle a disparu sous la végétation.

A la sortie de l'école, nous prenions notre temps pour rentrer à la maison. Parfois, chemin faisant, nous commettions quelques bêtises, comme beaucoup d'enfants de notre âge.

A la sortie de St Rémy, sur le chemin du retour, nous passions devant une porte dont l'encadrement portait un bouton de sonnette électrique. C’était chose rare à l'époque : c’était la maison d'un photographe. De temps en temps je laissais passer mon frère et François devant et lorsqu'ils étaient un peu éloignés, je sonnais deux ou trois fois, j'entendais la sonnerie  derrière la porte: "dring ! dring !" Alors je partais en courant rejoindre les autres...Souvent le photographe sortait en criant après nous, mais nous étions déjà loin. Cela m'amusait, mais mon frère n’appréciait guère !

Un soir qu’avec François nous avions un peu d’avance sur mon frère qui s’était attardé à regarder je ne sais quoi, j’ai sonné une fois de plus à la porte et nous nous sommes sauvés en courant comme d'habitude. Quelques secondes plus tard, le photographe en colère est sorti sur le pas de la porte que mon frère venait juste de dépasser. Le photographe a cru que c’était lui le coupable et il l’a attrapé «  Ah ! C’est toi le sonneur de porte ! C’est toi qui me déranges dans mon travail presque tous les soirs ! Tiens, tu ne l'auras pas volé ! »  Et il lui a donné une paire de gifles, en ajoutant : « Cela t'apprendra ! ». Noël nous a rejoint en pleurant ,et très fâché après moi, car lui,il n’avait jamais sonné à la porte du photographe!

Mon frère saignait facilement du nez; aussi, après avoir pris les deux gifles, il s’est mis à saigner abondamment. Il a pris son mouchoir,a penché la tête en arrière, et au bout d’un moment, cela s’est arrêté. A la maison, ma mère, effrayée de voir ses vêtements pleins de sang, lui a demandé : "Qu'as- tu fait  pour être dans cet état, dis-moi ? " Et le voilà qui raconte toute l'histoire...

Comment ma mère prit contact avec le photographe et ce qu’ils se sont dit, je ne le sais pas mais le pauvre homme était navré d'avoir donné deux gifles à mon frère qui n'y était pour rien  et d'avoir provoqué le saignement du nez. Pour se faire pardonner, il avait proposé à ma mère de nous photographier gratuitement.Aussi, quelques jours plus tard, nous annonça-t--elle : « Nous allons chez le photographe ! » Mon frère ne voulait surtout pas le revoir et moi encore moins, car j’avais peur qu’il me frappe. Ma mère nous a rassurés, et nous avons revêtu   nos habits du dimanche: mon frère et moi étions toujours habillés pareil, comme des jumeaux. J'ai le souvenir d’un pull-over bleu roi, d’une culotte courte de velours noir, de chaussettes marron et de sandales de même couleur. Nous étions beaux comme des sous neufs.

Et nous voilà partis.Arrivés devant la porte, nous avons eu un moment d'hésitation, puis ma mère a sonné: le photographe a ouvert la porte et nous a fait entrer.

         Ma mère lui avait sûrement raconté toute l'histoire, car lorsqu'on s’est retrouvé dans le studio, il m’a regardé en disant : « Alors c'est toi qui sonne à la porte et me dérange dans mon travail, tu es un petit malin ! Tu sonnes et tu pars en courant, et c'est ton frère qui se fait prendre! Tâche de ne plus recommencer! » Ma mère a répondu : « S'il devait recommencer, son frère nous avertirait et il serait puni par son père » et se tournant vers moi : « dis à monsieur que tu ne le feras plus » D’un signe de tête, j’ai fait non.

Je n'avais jamais vu de studio de photographe. C’était beau : il y avait de grands tableaux représentant des paysages, une sellette que l'on voit souvent sur les anciennes photos où un militaire appuie son bras, de grosses ampoules et l'appareil, cette boîte en bois montée sur trois pieds, en partie recouverte d'un tissu noir. Au centre de la boîte il y avait un œil qui brillait.

Le photographe nous a dit : " Bon ! Allons-y !" Ma mère nous a recoiffés avec soin et a arrangé nos vêtements. Il m’a assis sur un  grand tabouret près de  mon frère resté debout, il a placé nos mains pour avoir une jolie pause, puis il a dit : « Maintenant ne bougez plus ». Il a allumé les grosses ampoules, est revenu vers la boîte magique et a mis sa tête sous le tissu noir où il est resté quelques secondes puis, sortant la tête, il a pris une poire en caoutchouc dans une main (j’ai trouvé que çà ressemblait à une poire à lavement !!) et nous a dit : « Regardez bien là ! » Il a posé son doigt  près de l'œil de la boîte en nous faisant signe une nouvelle fois « Allez, un sourire, ne bougez plus, le petit oiseau va sortir ! Et voilà c'est fini ! » J’étais déçu, je n'avais pas vu le petit oiseau sortir de la boîte !

Quelques jours plus tard, à la sortie de l'école, nous sommes passés chez lui pour retirer les photos. Il m’a dit en souriant : « Cette fois tu n'as pas sonné pour rien »  Il nous a donné nos photos plus quelques bonbons pour nous ainsi que pour notre copain François.

Par la suite, je regardais toujours le bouton de sonnette du photographe, mais plus question de sonner! Et pour plus de sécurité, mon frère passait sur le trottoir d'en face…..

Voilà l'histoire du petit Marcel sonneur de portes et du gentil photographe. Cette photographie est la seule qui me reste en souvenir de mon cher frère Noël.

                                                                     

Noël – Marcel le sonneur de Porte

Photo authentique Récit Vécu en 1937

Fuveau – 2000 -

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